D: La naissance de la culture jeune : un nouvel élan pour la guitare électrique
En effet, la radio a beaucoup progressé : après la guerre, celle-ci recommence à diffuser de la musique, et chaque « disc-jockey » propose ses sélections. Le nom de rock’n roll provient justement d’une invention de 1952 d’un de ces « disc-jockey », Alan Freed, qu’il utilisait pour parler du rhythm’n’blues (musique afro-américaine) joué par des musiciens « blancs » ( la ségrégation raciale bat en effet encore son plein, et Alan Freed se fera haïr par une bonne partie de la population après avoir fait danser un musicien noir, Frankie Lymon, avec un femme blanche sur son plateau).
Le rock’n’roll est donc une expression construite pour pouvoir « vendre » un style musical à des populations qui mépriseraient ses origines réelles. Pour pouvoir le commercialiser en masse, ce genre de musique est spécialement construit : on abandonne les orchestres grands et hiérarchisés de musiciens jazz, pour céder la place à quelques musiciens qui accompagnent, à la guitare électrique, désormais suffisamment puissante, ou au piano, un chanteur (éventuellement guitariste) qui est très charismatique : les groupes ont d’ailleurs souvent son nom ( Bill Haley and His Comets est un bon exemple ; sinon , on retient surtout des noms comme Elvis Presley ou Chuck Berry);de même, le rythme ternaire du blues est abandonné pour un rythme binaire au tempo plus rapide, qui fit que l’on qualifiât ce genre de « musique endiablée ».
Il apparait dans une période au contexte fort intéressant : au milieu des années 50, de nombreux jeunes n’ont pas connu directement les combats américains, ont été choqués par l’usage des armes atomiques, et viennent de subir la peur anticommuniste du maccarthysme, doublée d’une politique conservatrice : la société de consommation qui leur est proposée ne fait décidemment pas pour eux, et les actes de rébellion, surtout vers l’autorité parentale, sont quotidiens ( le titre du film Graines de Violence , avec James Dean, a un titre qui, traduit directement de l’anglais, serait « rebelles sans cause »). Les gains de productivité énormes des Trente Glorieuses ont permis une richesse sans précédents, et dans la société, apparait un nouvel acteur, l’Adolescent : il s’agit d’individu, grosso modo à la fin du collège, qui ne travaille pas (sauf exceptions) et qui à du temps libre et pour la première fois, un pouvoir d’achat qui prend le nom d’ « d’argent de poche ». Ces jeunes s’identifient entre eux, forment des « bandes » dans le temps libre après l’école, s’habillent avec des blousons en cuir de motards (les « perfectos »), et des jeans (autrefois simple vêtement de travail), se déplacent justement en moto, et surtout arborent une chevelure qui dépasse la longueur « réglementaire » de l’époque (un peu comme les romantiques plus d’un siècle auparavant, surnommés « les chevelus » par leurs opposants classiques).
Avec les jeunes, ce phénomène musical qu’est le rock and roll devient massif, une attitude, un mode de vie pour toute une tranche d’âge, qui s’inspire de ces idoles, ces chanteurs charismatiques que le jazz avait parfois délaissé au profit des musiciens : le phénomène « Elvis » doit son succès à son charisme, sa voix , et surtout à la provocation que supposaient ses déhanchements( il fut même interdit de le filmer en dessous de la ceinture), et qui fera de lui un sex-symbol pour tous ces jeunes des années rock’n’roll aux Etats-Unis comme en Europe. Car ce style musical s’exporte très bien, sur tout en France (Johnny Hallyday, Eddie Mitchell) et au Royaume-Uni, où la politique conservatrice est aussi très présente : des émulateurs d’Elvis fleurissent un peu partout ; en Angleterre, les noms retenus seront Cliff Richard, Vince Taylor…

Cette musique nouvelle connaitra donc un énorme succès (certains des disques de Elvis , notamment les singles, détiennent encore des records de ventes) chez les jeunes qui pour la première fois, auront un pouvoir d’achat autonome : ils l’utiliseront pour se constituer l’attirail du jeune rebelle, consistant dans les années 50 des vêtements cités plus haut et bien sur, des disques de rock and roll, qui aura donné à la guitare électrique un place de protagoniste ( bien qu’elle tardera une décennie à se rependre totalement) , qu’elle peut assurer grâce aux gains de puissance cités plus haut. C’est la première manifestation de la « culture jeune » qui évoluera durant toute la deuxième partie du XXème siècle, au gré, notamment, des mouvements musico/culturels ( l’exemple flagrant du punk).Les annés 60 verront la séparation du rock ‘n’roll en rock et pop, avec l’avènement des Beatles et des Rolling Stones ; à la fin de cette décennie, le débat entre électrique et acoustique est encore fort (Bob Dylan fut critiqué pour son passage à l’électrique), mais l’électrification de la guitare aura permis de faire des concerts de plus en plus grands , avec un paroxysme pour le festival de Woodstock ; mais ça, c’est une autre histoire….